Dossiers pédagogiques - Collections du Musée
Monographies / Grandes figures de l'art moderne

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L'œuvre de
Marcel DUCHAMP


Roue de bicyclette, 1913/1964

 

L'Œuvre de Marcel Duchamp

Biographie de l'artiste

Notices d'Œuvres
Les joueurs d'échecs, 1911
Roue de bicyclette, 1913/1964
Neuf Moules Mâlic, 1914-1915
Fontaine, 1917/1964
Fresh Widow, 1920/1964
Rotoreliefs n° 11-n° 12, 1935
La boîte-en-valise, 1936-1941/1968
Prière de toucher, 1947

Textes de référence
• Marcel Duchamp, entretien avec James Johnson Sweeney (extrait), 1955
• Marcel Duchamp, « L'artiste doit-il aller à l'université ? », allocution (extrait) à l'université d'Hofstra, New York, 1960
• Marcel Duchamp, discours au Musée d'Art moderne de New York, 1961, dans le cadre de l'exposition Art of assemblage

Chronologie

Bibliographie Sélective

 

 

Ce dossier s'inscrit dans une série Monographies des grandes figures de l'art moderne, qui sera régulièrement augmentée dans cette partie du site.

• Ces dossiers sont réalisés autour d'une sélection d'œuvres des artistes les mieux représentés dans les collections du Musée national d'art moderne.
• S'adressant en particulier aux enseignants ou aux responsables de groupe, ils ont pour objectif de proposer des points de repères et une base de travail pour faciliter l'approche et la compréhension de l'œuvre d'un artiste majeur dans l'histoire de la création au 20e siècle, ou pour préparer une visite au Musée*.

Chacun de ces dossiers comporte :
• une introduction générale permettant de présenter et de situer le rôle de l'artiste et son œuvre dans un contexte historique, géographique et esthétique,
• une biographie de l'artiste, une sélection des œuvres des collections du Musée, traitées par fiches comportant une notice d'œuvre et une reproduction,
• un ou plusieurs textes de référence apportant en complément une approche théorique,
• une chronologie de son œuvre,
• une bibliographie sélective.


*A NOTER
Les collections du Musée comportent plus de 58 000 œuvres. Régulièrement, le Musée renouvelle les œuvres présentées dans ses espaces situés aux 4e et 5e niveaux du Centre Pompidou. Les dossiers pédagogiques sont réalisés en lien avec ces accrochages.
En savoir plus sur les collections du Musée et les oeuvres actuellement présentées,
www.centrepompidou.fr/musee

 

 

L'œuvre de Marcel Duchamp

L'œuvre de Marcel Duchamp bouleverse radicalement l'art du 20e siècle. Avec l'invention, dans les années dix, du ready-made - une pièce que l'artiste trouve « already-made », c'est-à-dire déjà toute faite et qu'il sélectionne pour sa neutralité esthétique -, il ouvre la voie aux démarches avant-gardistes les plus extrémistes.
Tous les mouvements qui utilisent des objets de la vie courante, pour surprendre comme le Surréalisme, pour évoquer, critiquer, voire poétiser la société de consommation comme le Pop art et le Nouveau réalisme, ou pour réconcilier l'art et la vie comme Fluxus, lui sont redevables d'avoir transgressé les coutumes académiques. Après Duchamp, le carcan des médiums traditionnellement employés éclate et il devient possible d'utiliser n'importe quel objet, avec ou sans transformation.

Le 20e siècle lui doit donc l'initiative du renouvellement des matériaux utilisés dans l'art, mais aussi un goût pour des questions complexes d'esthétique qui aboutiront dans les années 70 à l'Art conceptuel. Duchamp est l'artiste moderne qui a le plus directement interrogé la notion d'art - « quand il y a art » et ce qui « suffit à faire de l'art ». Il s'inscrit dans la lignée des artistes « intellectuels », comme Léonard de Vinci, et annonce les problématiques de Joseph Kosuth.

Connues d'abord de manière confidentielle, ses œuvres ont été largement diffusées à partir des années 60, lorsque la plupart des ready-mades, disparus au fil de ses déménagements ou tout simplement détruits, ont été réédités. En 1964, la galerie Schwartz, à Milan, lui propose en effet une édition à 8 exemplaires de ses ready-mades. Les considérant comme des originaux, dès lors que les premiers avaient été perdus, cet épisode lui permet encore une fois d'interroger un concept central dans l'histoire de l'art, puisque le terme d'original pour un ready-made n'a aucun sens. Duchamp y insiste lorsqu'il signe par exemple l'un de ces objets, le Porte-bouteilles, « Marcel Duchamp, Antique certifié ».

Dossiers pédagogiques sur les collections du Musée national d'art moderne à consulter :
L'art surréaliste
Le Pop art
Le Nouveau réalisme
L'art conceptuel
(Lire, notamment, le texte de Joseph Kosuth, « Art after philosophy »)
L'objet dans l'art du 20e siècle

 

 

Biographie de l'artiste

Marcel Duchamp
Blainville-Crevon (Seine-Maritime), 1887 – Paris, 1968

Marcel Duchamp est le troisième d'une famille de six enfants, dont quatre sont des artistes reconnus : les peintres Jacques Villon (1875-1963) et Suzanne Duchamp (1889-1963), le sculpteur Raymond Duchamp-Villon (1876-1918) et lui-même, le plus célèbre. Ce sont d'ailleurs ses frères, ses aînés, qui l'initient à l'art.

Après une scolarité à Rouen, Marcel Duchamp poursuit des études à Paris et fréquente l'Académie Julian. Mais c'est toujours auprès de ses frères qu'il fait son véritable apprentissage de la peinture et de leurs amis, réunis sous le nom de Groupe de Puteaux, principalement des artistes d'inspiration cubiste comme Fernand Léger ou Robert Delaunay, ou encore Albert Gleizes et Jean Metzinger, auteurs de l'ouvrage Du Cubisme (1912).

Toutefois, très vite sa peinture s'éloigne de la problématique spatiale des cubistes et s'attache à la décomposition du mouvement, ce qui le rapproche des Futuristes italiens (1). L'une de ces toiles, Le Nu descendant l'escalier, le fait connaître à la grande exposition américaine de l'Armory Show, en 1913.

À partir de 1915, installé à New York, il partage son temps entre les Etats-Unis et la France, diffusant les avant-gardes parisiennes, notamment les sculptures de son ami Constantin Brancusi, auprès du public américain.
À cette époque, il élabore ses œuvres les plus connues, comme le Grand Verre ou la Fontaine, mais se consacre de plus en plus aux échecs, qui deviendront, au milieu des années 20, sa principale activité.

C'est à travers le Surréalisme qu'il renoue avec l'art en organisant de nombreux événements en collaboration avec André Breton. De retour sur la scène artistique, il acquiert une renommée croissante et devient célèbre après la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 50, une nouvelle génération d'artistes américains qui se qualifient de néo-dadaïstes, tels Jasper Johns et Robert Rauschenberg, le reconnaît comme un précurseur.
La réédition en 1964 de ses premiers objets ready-mades parachève cette célébrité en diffusant son œuvre dans le monde entier.

(1) A consulter, le dossier pédagogique « Futurisme, Rayonnisme, Orphisme »

 

 

Notices d'œuvres

Les joueurs d'échecs, décembre 1911
Peinture réalisée à Neuilly
Huile sur toile
50 x 61 cm

Ce tableau témoigne des débuts de peintre de Marcel Duchamp qui, grâce à ses deux frères aînés, Raymond Duchamp-Villon (1876-1918) et Jacques Villon (1875-1963), fréquente le milieu de l'avant-garde parisienne.

Les teintes en camaïeu, le morcellement de la réalité, notamment les quelques pièces du jeu d'échecs qui s'éparpillent sur la surface du tableau, indiquent son intérêt pour le Cubisme. Mais, de même qu'avec les autres toiles réalisées à cette époque, Jeune homme triste dans un train (1911) ou Nu descendant l'escalier (1912), c'est plus la décomposition du mouvement qui retient ici son attention que celle de l'espace, comme c'est le cas pour les pionniers du Cubisme, Braque et Picasso.

Le thème des joueurs d'échecs et son traitement rappellent le tableau des Joueurs de cartes de Cézanne (1), célèbre pour sa composition centrée, où les bras des personnages se rejoignent, reliant les deux silhouettes par l'intermédiaire du jeu. Duchamp, dans cette toile, reprend cette configuration où les bras tendus symbolisent l'investissement et la communion des joueurs.

Résultat d'une série de six études, ce tableau précède lui-même une autre peinture réalisée l'année suivante, Portrait de joueurs d'échecs, 1912 (actuellement au Musée de Philadelphie) dont les modèles sont ses deux frères et pour lesquels les échecs étaient une activité coutumière.
Duchamp, lui-même très tôt initié aux échecs, comptant parmi les joueurs de l'équipe de France à partir des années 20, en fera son activité principale, aux dépens de l'art. Dans ses souvenirs autobiographiques, publiés en 1961, Man Ray écrit à son propos : « Son esprit est alerte et les échecs ne laissent aucune trace de l'activité mentale la plus intense. Les échecs ont été son programme. L'aspect compétitif des échecs l'intéresse moins que leur aspect analytique et les possibilités qu'ils offrent à l'invention ».

Le caractère intellectuel de ses futures œuvres apparaît déjà à travers le thème de cette peinture.

(1) Les Joueurs de cartes de Cézanne, 1890-95, Musée d'Orsay
(2) Nu descendant l'escalier, Musée de Philadelphie 
(3) Une étude pour les Joueurs d'échecs, Musée Guggenheim de New York

 

Roue de bicyclette, 1913/1964
L'original, perdu, a été réalisé à Paris en 1913. La réplique réalisée en 1964 sous la direction de Marcel Duchamp par la Galerie Schwarz, Milan, constitue la 6e version de ce Ready-made.
Assemblage d'une roue de bicyclette sur un tabouret
Métal, bois peint
126,5 x 31,5 x 63,5 cm

La Roue de bicyclette est souvent considérée comme le premier ready-made de Marcel Duchamp. Mais cette œuvre n'est pas encore un vrai ready-made puisque l'artiste y est intervenu en fixant la roue de vélo sur le tabouret. De plus, lui-même la définit plutôt comme une sculpture sur un socle, à la manière des œuvres de son ami Constantin Brancusi (1).

Dans une lettre à sa sœur envoyée en 1915 des Etats-Unis où il vit, celle-là même expliquant ce qu'est un ready-made (already-made ou ready-made, un objet déjà tout fait et revendiqué comme œuvre par l'artiste du seul fait de l'avoir choisi), Duchamp justifie, par opposition, sa Roue de bicyclette en disant qu'il apprécie particulièrement le mouvement de la roue, favorisé par sa position sur le tabouret. Mouvement, selon lui, aussi fascinant que celui des flammes dans un feu de cheminée. Il aurait alors créé cet objet faute de cheminée. Canular ou geste calculé ?

Cette œuvre procède très vraisemblablement de l'humour bien connu de l'artiste, mais appartient aussi à une série de travaux sur le mouvement, récurrents dans son œuvre, depuis le Nu descendant l'escalier, 1912, jusqu'à son film Anemic cinema, 1925, ou les Rotoreliefs, 1935. Ainsi la Roue de bicyclette semble répondre à un réel intérêt pour le mouvement et sa capacité hypnotique.

Quant au premier objet que Duchamp considère comme un véritable ready-made, le Porte-bouteilles, il sera choisi en 1914 au Bazar de l'Hôtel de Ville « sur la base d'une pure indifférence visuelle », selon ses dires, et signé un an plus tard par sa sœur comme s'il s'agissait d'une œuvre d'atelier : « d'après Marcel Duchamp ». C'est en effet à propos de ces objets laissés à Paris que Duchamp inventa rétrospectivement, en 1915, ce terme de « ready-made ».

• Voir l'Atelier Brancusi, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne 

 

Neuf Moules Mâlic, 1914 – 1915
L'œuvre fut brisée en 1916 et réencadrée par l'artiste entre deux panneaux de verre
Œuvre en 3 dimensions
Verre, plomb, peinture à l'huile, acier vernis
66 x 101,2 cm

Parallèlement à l'invention des ready-mades, dans les années 10, Marcel Duchamp se consacre à un vaste projet qui deviendra une œuvre mythique, Le Grand Verre ou La Mariée mise à nu par ses célibataires, même.

Ce titre énigmatique renvoie à une pièce qui, en quelque sorte, défie l'histoire de la peinture. En peignant sur une plaque de verre, Duchamp nie l'espace fictionnel du tableau et le remplace par un élément transparent, transitif, qui renvoie au thème, quant à lui traditionnel, de l'amour.
L'œuvre confronte des hommes, les célibataires, et une femme, la mariée, qui est, selon Duchamp, « mise à nu avant la jouissance qui la ferait déchoir », moment précédant le passage de la vierge à la mariée, « l'apothéose de la virginité ». Elaborée à partir de 1912, l'œuvre est laissée inachevée en 1923, ce qui contribue encore à son mystère.

Les Neuf Moules Mâlic font partie des nombreuses études préparatoires à ce Grand Verre. Ils s'attachent en particulier à la partie inférieure du tableau, qui constitue « une base solide, sur terre ferme » : les mâles. Tandis que la mariée flotte en haut dans « une cage transparente », ils sont représentés par d'étranges objets qui figurent des moules, comme des moules pour fabriquer des uniformes de « mâles », gendarme, livreur ou prêtre. Duchamp les qualifie de « matrices d'éros », des machines à fabriquer du désir. D'eux s'échappe un gaz qui monte vers la mariée, comme une fumée produite par la machine à vapeur. Cette élaboration propose une conception mécanique du désir, un désir qui s'emballe et se fixe sur un objet précis.

• Pour voir le Grand Verre, Musée de Philadelphie

 

Fontaine, 1917/1964
Titre attribué : Urinoir
L'original, perdu, a été réalisé à New York en 1917. La réplique a été réalisée sous la direction de Marcel Duchamp en 1964 par la Galerie Schwarz, Milan et constitue la 3e version.
Faïence blanche recouverte de glaçure céramique et de peinture
63 x 48 x 35 cm

La Fontaine est le plus célèbre des ready-mades de Duchamp. Elle a donné lieu à un grand nombre d'interprétations et d'écrits, parmi lesquels ceux de spécialistes de l'esthétique qui s'interrogent sur la redéfinition de l'art qu'elle implique.

A l'origine Duchamp achète cet objet, un urinoir ordinaire, pour l'envoyer au comité de sélection d'une exposition dont les organisateurs s'engagent à exposer n'importe quelle œuvre dès lors que son auteur participe aux frais. Faisant lui-même partie de ce comité organisateur, il souhaite éprouver la générosité de son principe.
Une fois l'objet acquis, Duchamp le retourne, lui donne le titre poétique de Fontaine et le signe Richard Mutt, en parodiant le nom du propriétaire d'une grande fabrique d'équipement. Avec un titre et un auteur, l'objet possède toutes les qualités extrinsèques d'une œuvre d'art. Mais il se voit refusé par le comité de sélection.

Pour l'inauguration de l'exposition, Duchamp demande à l'un de ses amis, riche collectionneur, de réclamer la Fontaine de Richard Mutt. L'œuvre n'étant pas exposée, celui-ci fait scandale et prétend même vouloir l'acheter. C'est ainsi que, peu à peu, l'histoire de la Fontaine prend de l'ampleur.
Suite à l'exposition, Duchamp fait paraître une série d'articles sous le titre « The Richard Mutt case ». C'est l'occasion pour lui d'écrire des propos parmi les plus révolutionnaires et pertinents sur l'art, et de répondre à l'accusation de plagiat : « Que Richard Mutt ait fabriqué cette fontaine avec ses propres mains, cela n'a aucune importance, il l'a choisie. Il a pris un article ordinaire de la vie, il l'a placé de manière à ce que sa signification d'usage disparaisse sous le nouveau titre et le nouveau point de vue, il a créé une nouvelle pensée pour cet objet ».

Selon Duchamp, l'artiste n'est pas un bricoleur et, dans l'art, l'idée prévaut sur la création. Cette conception rejoint celle des grands artistes de la Renaissance qui ont élevé la peinture au rang des arts libéraux - telles l'astronomie et les mathématiques - et en particulier Léonard de Vinci qui définissait l'art comme « causa mentale ».
Toutefois Duchamp s'en différencie en ce qu'il propose un objet qui n'a aucune des qualités intrinsèques que l'on suppose à une œuvre d'art, comme l'harmonie ou l'élégance. Son objet n'a que les signes extérieurs d'une œuvre, il obéit à une définition positive, voire à un « nominalisme » de l'art.

 

Fresh Widow, 1920/1964
L'original a été réalisé à New York en 1920. La réplique a été réalisée sous la direction de Marcel Duchamp en 1964 par la Galerie Schwarz, Milan et constitue la 3e version de ce Ready-made.
Fenêtre française miniature, bois peint en bleu et 8 carreaux de cuir ciré noir sur une tablette de bois
Bois peint, cuir
79,2 x 53,2 x 10,3 cm
tablette: 10,2cm x 53,3 x 1,9 cm

Le titre de cette œuvre tient à l'un de ces calembours qu'affectionne Duchamp. Ainsi faut-il savoir, qu'aux Etats-Unis, les fenêtres s'ouvrent en coulissant à l'horizontal. Quant aux fenêtres à battants, rares, elles sont appelées « fenêtres françaises », French Windows.

De French Window à Fresh Widow, cette fenêtre devient une « veuve effrontée », en référence au noir de ses carreaux. Mais, au-delà du jeu de mots, c'est la tradition picturale occidentale, la conception du tableau comme « fenêtre ouverte sur le monde » d'Alberti, qui est interrogée.

Cette fenêtre, que Duchamp a fait construire en miniature et qu'il a dotée de morceaux de cuir à la place du verre, est en effet une fenêtre aveugle, qui n'ouvre sur aucun paysage, sur aucun espace fictionnel. La fenêtre se donne à voir pour elle-même au lieu d'être une transition, comme elle l'est encore dans la fenêtre à la lumière noire de Matisse, Porte-fenêtre à Collioure, 1914 (1).
Ici, la fenêtre s'affirme comme objet, dont il faut d'ailleurs prendre soin puisque Duchamp inclut dans le concept de l'œuvre les conditions de son entretien : les morceaux de cuir doivent « être cirés tous les matins comme une paire de chaussures, pour qu'ils reluisent comme de vrais carreaux ».

Dans une dialectique entre opacité et transparence, qui prolonge la problématique du Grand Verre, Fresh Widow renvoie le spectateur à une interrogation sur son propre regard.

(1) Pour une analyse de l'œuvre de Matisse, Porte-fenêtre à Collioure, 1914

 

Rotorelief n°11 - Eclipse totale / Rotorelief n°12 - Spirale blanche, 1935
Objet
Disque en carton imprimé en couleurs par lithographie offset
Diamètre : 20 cm
Première édition
Editeur : Henri-Pierre Roché, Paris

Les Rotoreliefs sont à l'origine des disques de carton, imprimés de motifs en spirale, à utiliser sur des tourne-disques : ce sont « des jouets » à produire l'illusion du volume. Duchamp en a l'idée après la réalisation, en 1925, de son film Anemic cinema, fait d'illusion d'optique.
Mais, contrairement à ce film dont la diffusion est restée confidentielle, les disques sont confectionnés dans le but d'être commercialisés. Duchamp en dépose l'idée auprès du Tribunal de commerce de la Seine le 9 mai 1935 et les présente au public en août 1935 sur un stand du concours Lépine, dans des cartons ronds tirés à 500 exemplaires contenant plusieurs modèles.

Du point de vue commercial, l'entreprise est un échec tant en France qu'aux Etats-Unis, où il essaie aussi de les diffuser.
En revanche, en tant qu'œuvre d'art, les Rotoreliefs témoignent de la diversité des activités de Duchamp et font de lui à la fois un ingénieur, un entrepreneur, et l'un des premiers artistes à proposer des œuvres d'art multiples sous forme de boîtes. Quelques années plus tard, cette expérience le conduira à éditer une boîte contenant des objets renvoyant à ses œuvres complètes, La boîte-en-valise.
Quant aux exemplaires des Rotoreliefs des collections du Musée, ils ont été reconstitués suivant la version des dernières éditions où les disques sont installés sur des pieds, à la verticale, avec des moteurs pour provoquer le mouvement.

 

La boîte-en-valise, 1936/1968
Paris 1936 - New York 1941
Boîte en carton recouverte de cuir rouge contenant des répliques miniatures d'œuvres, 69 photos, fac-similés ou reproductions de tableaux, collées sur chemise noire. 40,7 x 38,1 x 10,2 cm
Boîte déployée pour présentation : 102 x 90 x 39,5 cm

Dès les années 10, Marcel Duchamp envisage l'édition d'une boîte rassemblant des œuvres, plus précisément des écrits accompagnés de quelques schémas. Ce projet précoce aboutit en 1934 à l'édition de la Boîte verte, tirée à trois cents exemplaires, qui contient principalement ses notes pour la réalisation du Grand Verre.

Après cette publication, il envisage l'édition d'une autre boîte qui rassemble, cette fois-ci, toutes les œuvres qu'il a réalisées depuis le début de sa carrière. Ainsi naît l'idée d'une sorte d'« album » qui présente des images de ses peintures, le Nu descendant l'escalier, la Broyeuse de chocolat, les Neuf Moules Mâlic, mais aussi des reproductions miniatures, en trois dimensions, de ses sculptures et de ses ready-mades, parmi lesquels, bien sûr, la Fontaine. En ce qui concerne les reproductions de peinture, Duchamp a colorié des photographies noir et blanc, créant ainsi de nouveaux originaux, certifiés de sa main. De la part de l'inventeur des ready-mades, cette démarche réveille d'intemporelles interrogations sur l'art et ce qui le caractérise.

Grâce à la richesse des objets qu'elle contient, cette édition devient une œuvre à part entière : La boîte-en-valise, achevée en 1941 ; une œuvre dont la particularité consiste à réunir une multiplicité de pièces qui sont en même temps des reproductions et des originaux. Duchamp propose en somme un petit musée portatif qui rappelle la circularité de l'une des définitions donnée, par lui, à l'art : c'est le musée qui fait l'art, mais l'art qui fait le musée. Une fois de plus, il réalise une œuvre d'un intérêt infini en regard des théories esthétiques.

 

Prière de toucher, 1947
Sein sur velours, présenté sous-verre. Emboîtage pour l'édition de luxe du catalogue de l'exposition « Le Surréalisme en 1947 », galerie Maeght, Paris
41,8 x 34,7 x 7,1 cm

Cette œuvre manifeste la proximité de Duchamp avec les Surréalistes dans les années 40. Elle a été conçue pour la couverture du catalogue de l'exposition Le Surréalisme en 1947 organisée avec André Breton à la galerie Maeght, Paris. Un sein postiche en mousse est collé sur le carton de la couverture, tandis qu'au dos du catalogue on lit l'injonction, contraire à celle que l'on voit habituellement, « prière de toucher ».

Cette œuvre est donc une invitation à dépasser le sens de la vue - sens traditionnellement privilégié dans les arts occidentaux - au profit du toucher, plus matérialiste. Elle propose une expérience tactile à rapprocher des nombreuses recherches des surréalistes pour sortir des pratiques académiques et des idées reçues.

Mais, au-delà de cette expérience et de la mise en valeur du toucher, cette œuvre, toujours dans un esprit surréaliste, laisse entrevoir la dimension érotique qui parcourt le travail de Marcel Duchamp. Depuis 1912 - avec les recherches pour La Mariée mise à nu…  - jusqu'aux dernières œuvres - comme Feuille de vigne femelle, 1950 (1) ou Etant donnés : 1. La chute d'eau, 2. L'éclairage au gaz, 1946-1966 (Musée de Philadelphie) (2) - le thème de la sexualité, apparaît de manière récurrente, souvent traité en rapport avec celui du voyeurisme.

Feuille de vigne femelle, 1950, Tate Gallery, Londres : voir l'œuvre
Etant donnés : 1. La chute d'eau, 2. L'éclairage au gaz,1946-1966 : voir l'œuvre

 

 

Textes de référence

Marcel Duchamp, entretien avec James Johnson Sweeney (extrait), 1955
Reproduit dans Duchamp du signe, pp. 175-185, Flammarion, 1994, © Succession Marcel Duchamp, Adagp, Paris 2007

« JJS : Selon vous donc le goût serait la répétition de toute chose déjà acceptée ?
MD : Exactement. C'est une habitude. Recommencez la même chose assez longtemps et elle devient un goût. Si vous interrompez votre production artistique après avoir créé une chose, celle-ci devient une chose en-soi et le demeure. Mais si elle se répète un certain nombre de fois, elle devient un goût.
JJS : Et le bon goût est la répétition de ce que la société approuve et le mauvais goût la même répétition de ce qu'elle n'approuve pas. C'est bien là ce que vous voulez dire ?
MD : Oui, que le goût soit bon ou mauvais, cela n'a aucune importance, car il est toujours bon pour les uns et mauvais pour les autres. Peu importe la qualité, c'est toujours du goût.
JJS : Comment donc avez-vous pu échapper au bon et au mauvais goût dans votre expression personnelle ?
MD : Par l'emploi des techniques mécaniques. Un dessin mécanique ne sous-entend aucun goût.
JJS : Parce qu'il est divorcé de l'expression picturale conventionnelle ?
MD : C'est du moins ce que je pensais à l'époque et ce que je continue de penser aujourd'hui.
JJS : Ce divorce, cette libération de toute intervention humaine dans la peinture et le dessin ont-ils quelque rapport avec l'intérêt que vous avez porté aux ready-mades ?
MD : C'est naturellement en essayant de tirer une conclusion ou une conséquence quelconque de cette déshumanisation de l'œuvre d'art que j'en suis venu à concevoir les ready-mades. Tel est, vous le savez, le nom que j'ai donné à ces œuvres qui sont bien, en effet, toutes faites ».

 

Marcel Duchamp, « L'artiste doit-il aller à l'université ? »
Allocution (extrait) à l'université d'Hofstra, New York, 1960
Reproduit dans Duchamp du signe, pp. 236-239, Flammarion, 1994 © Succession Marcel Duchamp, Adagp, Paris 2007

« Bête comme un peintre.
Ce proverbe français remonte au moins au temps de la vie de Bohème de Murger, autour de 1880, et s'emploie toujours comme plaisanterie dans les discussions.
Pourquoi l'artiste devrait-il être considéré comme moins intelligent que Monsieur tout-le-monde ?
Serait-ce parce que son adresse technique est essentiellement manuelle et n'a pas de rapport immédiat avec l'intellect ?
Quoi qu'il en soit, on tient généralement que le peintre n'a pas besoin d'une éducation particulière pour devenir un grand Artiste.
Mais ces considérations n'ont plus cours aujourd'hui, les relations entre l'Artiste et la société ont changé depuis le jour où, à la fin du siècle dernier, l'Artiste affirma sa liberté.
Au lieu d'être un artisan employé par un monarque, ou par l'Eglise, l'artiste d'aujourd'hui peint librement, et n'est plus au service des mécènes auxquels, bien au contraire, il impose sa propre esthétique.
En d'autres termes, l'Artiste est maintenant complètement intégré dans la société.
Emancipé depuis plus d'un siècle, l'Artiste d'aujourd'hui se présente comme un homme libre, doté des mêmes prérogatives que le citoyen ordinaire et parle d'égal à égal avec l'acheteur de ses œuvres.
Naturellement, cette libération de l'Artiste a comme contrepartie quelques-unes des responsabilités qu'il pouvait ignorer lorsqu'il n'était qu'un paria ou un être intellectuellement inférieur.
Parmi ces responsabilités, l'une des plus importantes est l'ÉDUCATION de l'intellect, bien que, professionnellement, l'intellect ne soit pas la base de la formation du génie artistique.
Très évidemment la profession d'Artiste a pris sa place dans la société d'aujourd'hui à un niveau comparable à celui des professions « libérales ». Ce n'est plus, comme avant, une espèce d'artisanat supérieur ».

 

Marcel Duchamp, discours au Musée d'Art moderne de New York, 1961
Dans le cadre de l'exposition Art of assemblage
Reproduit dans Duchamp du signe, pp. 191-192, Flammarion, 1994 © Succession Marcel Duchamp, Adagp, Paris 2007

A propos des « Ready-mades »

« En 1913 j'eus l'heureuse idée de fixer une roue de bicyclette sur un tabouret de cuisine et de la regarder tourner.
Quelques mois plus tard j'ai acheté une reproduction bon marché d'un paysage de soir d'hiver, que j'appelai « Pharmacie » après y avoir ajouté deux petites touches, l'une rouge et l'autre jaune, sur l'horizon.
A New York en 1915 j'achetai dans une quincaillerie une pelle à neige sur laquelle j'écrivis « En prévision du bras cassé » (In advance of the broken arm).
C'est vers cette époque que le mot « ready-made » me vint à l'esprit pour désigner cette forme de manifestation.
Il est un point que je veux établir très clairement, c'est que le choix de ces ready-mades ne me fut jamais dicté par quelque délectation esthétique. Ce choix était fondé sur une réaction d'indifférence visuelle, assortie au même moment à une absence totale de bon ou de mauvais goût… en fait une anesthésie complète.
Une caractéristique importante : la courte phrase qu'à l'occasion j'inscrivais sur le ready-made.
Cette phrase, au lieu de décrire l'objet comme l'aurait fait un titre, était destinée à emporter l'esprit du spectateur vers d'autres régions plus verbales. Quelques fois j'ajoutais un détail graphique de présentation : j'appelais cela pour satisfaire mon penchant pour les allitérations, « un ready-made aidé » (ready-made aided).
Une autre fois, voulant souligner l'antinomie fondamentale qui existe entre l'art et les ready-mades, j'imaginais un « ready-made réciproque » (reciprocal ready-made) : se servir d'un Rembrandt comme table à repasser !
Très tôt je me rendis compte du danger qu'il pouvait y avoir à resservir sans discrimination cette forme d'expression et je décidai de limiter la production des ready-mades à un petit nombre chaque année. Je m'avisai à cette époque que, pour le spectateur plus encore que pour l'artiste, l'art est une drogue à accoutumance et je voulais protéger mes ready-mades contre une contamination de ce genre.
Un autre aspect du ready-made est qu'il n'a rien d'unique… La réplique d'un ready-made transmet le même message ; en fait presque tous les ready-mades existant aujourd'hui ne sont pas des originaux au sens reçu du terme.
Une dernière remarque pour conclure ce discours d'égomaniaque :
Comme les tubes de peintures utilisés par l'artiste sont des produits manufacturés et tout faits, nous devons conclure que toutes les toiles du monde sont des ready-mades aidés et des travaux d'assemblage.»

 

 

Chronologie

1904
Marcel Duchamp rejoint ses frères à Paris et suit des cours à l'Académie Julian.

1909
Il commence à réaliser des toiles inspirées de Cézanne et fréquente les « cubistes dissidents », comme Gleizes et Metzinger, qui se réunissent régulièrement chez son frère Jacques Villon à Puteaux.

1912
Le Nu descendant l'escalier est retiré du salon des Indépendants et est exposé au salon de la Section d'or organisé par les frères Duchamp, à Paris.

Il commence à travailler au Grand Verre.

1913
Le Nu descendant l'escalier est exposé à l'Armory Show, New York. Duchamp apparaît comme l'un des principaux représentants de l'avant-garde française.

1915
Il se rend aux Etats-Unis où il retrouve son ami Francis Picabia. Rencontre avec Man Ray qui restera son ami toute sa vie durant.

1917
Il envoie au comité de sélection de la Société des Artistes indépendants, dont il fait partie, sa Fontaine, sous le pseudonyme de Richard Mutt. L'objet est refusé, ce qui donnera lieu à la publication d'une série d'articles où il justifie son acte, intitulés The Richard Mutt Case.

1919
Rentré à Paris, il collabore avec les dadaïstes.

1920
De retour à New York, il fonde avec Man Ray et Katherine S. Dreier, riche héritière philanthrope, un organisme visant à promouvoir l'art contemporain en achetant des œuvres à de jeunes artistes. Suite à une blague de Man, ils l'appellent la Société Anonyme.

1921
En collaboration avec Man Ray, il publie le premier et unique numéro de New York Dada. Une « dadadate » selon Man Ray.

1923
Duchamp abandonne son Grand Verre, et la rumeur court qu'il abandonne même l'art.

1924
Il participe au tournage du film avant-gardiste Entr'acte de René Clair. Dans la première scène du film, il joue aux échecs avec Picabia sur le toit du théâtre des Champs-Elysées.

1926
Le Grand Verre est exposé au Musée de Brooklyn. C'est à cette occasion que la glace du Grand Verre est fêlée.

1932
Il fait partie de l'équipe de France du Championnat d'échecs et publie, en collaboration avec un autre joueur, un ouvrage sur les fins de parties.

1935
Il présente ses Rotoreliefs au concours Lépine.

1938
La boîte-en-valise, ensemble de reproductions de ses œuvres en modèle réduit, est tirée à 300 exemplaires.

1939
Publication de Rrose Sélavy, recueil de contrepèteries et de jeux de mots.

1942
A New York, il collabore avec les Surréalistes réfugiés, notamment avec André Breton pour l'exposition First Papers of Surrealism. Pour cette exposition, il tisse dans l'une des salles un réseau constitué de deux kilomètres de ficelle entrelacée.

1947
Il organise avec Breton la Deuxième Exposition Internationale du Surréalisme à Paris Le Surréalisme en 1947, et réalise la couverture du catalogue avec l'œuvre Prière de toucher.

1953
Le magazine grand public Life lui consacre un article. C'est le début de la célébrité.

1954
Ouverture du Musée d'art de Philadelphie grâce à Louise et Walter Arensberg, amis et mécènes de Duchamp, qui ont fait don de leur collection. Le nouveau musée comprend 43 de ses œuvres.

1958
Publication de Marchand de Sel, le premier recueil des divers écrits de Duchamp.

1959
Publication de la première monographie sur Duchamp par Robert Lebel.

1964
La galerie Schwartz, Milan, réédite treize ready-mades disparus, en huit exemplaires.

1966
La Tate Gallery de Londres organise la première grande rétrospective de son œuvre.

1967
Exposition Raymond Duchamp-Villon / Marcel Duchamp au Musée d'art moderne de Paris.

1968
Marcel Duchamp meurt le 2 octobre à Neuilly.

1973
Rétrospective Duchamp au Musée de Philadelphie et au Musée d'art moderne de New York.

 

 

Bibliographie sélective

A consulter sur Internet :
Marcel Duchamp World Community Web Site
Les œuvres de Marcel Duchamp dans les Collections du Musée national d'art moderne
Le dossier "Marcel Duchamp. Pas d'art" sur le site Public handicapé, Centre Pompidou

Essais sur Marcel Duchamp
- Françoise Le Penven, L'art d'écrire de Marcel Duchamp : à propos de ses Notes manuscrites et de ses Boîtes, Jacqueline Chambon, 2003
- Young-Girl Jang, L'Objet duchampien, L'Harmattan, 2001
- Didier Ottinger, Françoise Le Penven, Marcel Duchamp dans les collections du Musée national d'art moderne, Centre Pompidou, 2001
- Francis M. Naumann, Marcel Duchamp : l'art à l'ère de la reproduction mécanisée, Hazan, 1999
- Thierry de Duve, Résonances du Ready-made : Duchamp entre avant-garde et tradition, Jacqueline Chambon, 1989
- Thierry de Duve, Nominalisme pictural, Marcel Duchamp, la peinture et la modernité, Editions de Minuit, 1984

Catalogues d'exposition
- Brancusi et Duchamp : regards historiques, Centre Pompidou, 2000
- La boîte valise de ou par Marcel Duchamp ou Rrose Sélavy, Musée des beaux-arts de Rouen, 15 octobre 1998-15 janvier 1999
- Marcel Duchamp, Centre Pompidou, 1980
- Marcel Duchamp, la boîte en valise, Centre Pompidou, 1976

Textes de Marcel Duchamp
- Marcel Duchamp, Duchamp du signe, Flammarion, 1994 (recueil)

 

 

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